Les préfets managers du changement

Marne
22 juin 2011

La révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) font évoluer les modes de fonctionnement dans l'ensemble des services territoriaux de l'État, dont les préfectures. Michel Guillot, préfet de la région Champagne-Ardenne, préfet de la Marne, explique le nouveau rôle du préfet dans la conduite du changement.


Civique :

Quelle est votre vision de la fonction de préfet de région en 2011 ?

Michel Guillot :

Avant 1981, le préfet cumulait des fonctions d'État et d'exécutif des conseils généraux et régionaux. À partir de 1981 est intervenue la séparation de ces fonctions et le préfet est alors devenu le responsable des services de l'État aux niveaux départemental et régional, représentant le gouvernement. Aujourd'hui, il est toujours responsable des services de l'État – avant tout organisation humaine –, mais en tant que tête de réseau qui impulse, explique et arbitre, suivant ainsi l'évolution des autres organisations humaines, économiques et sociales. L'État bascule dans une culture de fonctionnement en réseaux. Une vraie innovation ! Par ailleurs, la réforme s'inscrit dans le cadre régional, lui-même composé de deux niveaux : le niveau régional, où s'exerce la fonction stratégique, le suivi, l'impulsion, l'évaluation, dans le cadre d'un comité d'administration régional (CAR), composé des préfets de la région et des directeurs régionaux ; le niveau départemental et infradépartemental (dont les sous-préfectures) pour la mise en oeuvre des prestations en direction de quatre bénéficiaires : le grand public, les collectivités locales, les entreprises, les responsables sociaux et associatifs.
À partir de ce cadre régional, il faut définir une organisation optimale pour que l'État délivre les prestations les meilleures, au moindre coût et le plus rapidement possible.

Civique :

Comment avez-vous procédé en Champagne-Ardenne ?

Michel Guillot :

À mon arrivée en avril 2010, les directions régionales et départementales étaient créées. Je me suis fixé trois grands objectifs pour leur fonctionnement : accentuer l'unité de l'État territorial en rassemblant l'ensemble des services autour d'une colonne vertébrale, composée du préfet de région et des préfets de département ; concentrer leur action sur les missions prioritaires de l'État, développer les synergies et définir les mutualisations qui permettent de rationaliser leur mode gestion.

Civique :

Pouvez-vous expliquer cette notion de « réseaux » ?

Michel Guillot :

Michel Guillot

Aujourd'hui, beaucoup plus de collaborateurs participent à la phase de préparation de la décision. La phase qui vient ensuite, la phase décisionnelle, hiérarchique, est ainsi de meilleure qualité car plus riche de contenu. L'État voit son mode de fonctionnement se rapprocher de celui de toute société humaine, les services n'étant plus repliés sur eux-mêmes et les fonctionnaires adoptant des relations directes et horizontales entre eux, sans passer systématiquement par la dimension hiérarchique verticale, comme le font les citoyens entre eux. Espérons qu'ainsi nos concitoyens, dans un mode d'organisation proche, comprendront mieux le fonctionnement de l'État.
Quant aux fonctionnaires, leur action se veut plus collégiale et collaborative, plus spontanée, à l'image des CAR et des pré-CAR, dont les déroulements sont de moins en moins formels et de plus en plus riches d'échanges, aboutissant à des décisions fondées sur des consensus opérationnels. Je crois beaucoup en cette mobilisation, cette conscience professionnelle et cette motivation des fonctionnaires, fondées sur la recherche de l'intérêt général, d'autant plus qu'ils ont prouvé leur capacité à mettre en oeuvre la réforme.

Civique :

Avez-vous mis en place des outils particuliers pour appuyer cette politique de changement ?

 Michel Guillot :

Dès mon arrivée, il y a un an, nous avons signé, avec l'ensemble des directeurs régionaux et des préfets, une charte de fonctionnement entre les niveaux régional et départemental. Elle précise les missions, le rôle et les modalités de travail de chacun, afin d'éviter les doublons, les recouvrements ou les oppositions stériles. C'est en quelque sorte un manuel des « bons usages », qui évite toute ambiguïté dans les relations entre services. Par ailleurs, nous achevons actuellement le projet stratégique de l'État en Champagne-Ardenne, après deux séminaires et de nombreux allers-retours entre services régionaux et départementaux. Nous élaborons, comme dans les autres régions, les schémas de mutualisation des moyens régionaux et départementaux. Au-delà de ce volet interne, pour que nos concitoyens puissent s'approprier notre nouvelle organisation, nous mettons au point un annuaire administratif à double entrée (par services et par mots clés) susceptible de les aider à trouver plus rapidement le service et la personne ressources. Enfin, les nouvelles directions régionales et départementales interministérielles étant créées, il importe que préfectures et sous-préfectures s'inscrivent également dans cette démarche de projet.

Nous lançons prochainement cette démarche dans la Marne. Ma conviction est qu'on ne peut pas  réussir un projet s'il n'y a l'adhésion de tous. Nous avons souvent gardé des procédures correspondant à l'ancienne organisation de l'État territorial. Il faut donc à la fois concevoir de nouvelles procédures pour la nouvelle organisation et, pour chaque agent, définir avec lui les évolutions nécessaires, s'agissant de ses missions, de ses fonctions, de sa formation… Le dialogue social s'en trouvera ainsi renforcé tant au niveau régional que départemental. Il faut souligner que les agents sont véritablement les acteurs de l'État en mouvement. Je veux insister sur cette notion de projet service : il doit instaurer un dialogue, un échange, une mobilisation de tous, pour que chaque fonctionnaire se sente concerné et mobilisé. C'est le moment de faire avancer les choses et de tendre vers la modernité ; la réussite de ce projet est un facteur clé de la réussite de l'État territorial.

Civique :

Comment s'articule votre collaboration avec les préfets départementaux ?

 Michel Guillot :

Les quatre préfets de Champagne-Ardenne sont en liaison constante (téléphone, messagerie, réunions, etc.). Pour renforcer l'efficacité de mise en oeuvre des actions au niveau départemental, j'ai demandé aux directeurs régionaux de me « court-circuiter » en travaillant en direct eux-mêmes avec chaque préfet de département. Les résultats sont vraiment probants : l'apport d'expertise et de propositions du directeur régional joint à la connaissance des spécificités locales du préfet de département et de ses services départementaux s'avèrent un dispositif d'une grande richesse et particulièrement efficace, le SGAR jouant, pour les dossiers majeurs, un rôle précieux dans un tel dispositif. Le préfet de département, dans cette organisation, ne connaît pas de diminution de ses pouvoirs d'action. Bien au contraire, bénéficiant des ressources régionales et départementales, fonctionnant en mode réseau dédié, il est mieux à même de mener à bien des dossiers sensibles. L'État offre ainsi une réponse plus rationnelle et plus lisible, sous forme de « guichet unique » aux quatre catégories de bénéficiaires de ces prestations que j'ai citées précédemment.

Un préfet fédérateur en Haute-Saône

Haute-Saone-Freysselinard

Chaque trimestre, le préfet de la Haute-Saône, Éric Freysselinard, réunit le collège des chefs de service du département. Réflexions, débats, exposés thématiques, autant de techniques de management qui visent à créer et développer une cohésion de groupe et une connaissance mutuelle.

Fin mars dernier, Éric Freysselinard avait réservé comme chaque trimestre une journée entière, sur son calendrier chargé de préfet de la Haute-Saône, à l'ensemble des chefs de services départementaux. Finances publiques, Direction départementale des Territoires, Cohésion Sociale et Protection des Populations, Inspection académique, gendarmerie, police, armée, archives, ARS, DIRECCTE, Pôle Emploi, protection judiciaire de la jeunesse, office national des forêts, service de navigation Nord-Est... plus d'une trentaine de directeurs haut-saonois et franc-comtois étaient ainsi réunis à la préfecture de Vesoul.

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L'objectif de ce rendez-vous est de créer un management de proximité, explique le préfet. C'est fondamental, car nous sommes de moins en moins dans des politiques strictement ministérielles. Tout interagit désormais. J'ai des temps périodiques de travail avec les services de l'État qui me sont le plus proches, donc dans l'absolu je n'ai pas besoin de ce collège. Mais il ne faut pas travailler en tuyaux d'orgue et réussir à créer des relations bilatérales entre services. Mon rôle est de les faire se connaître les uns les autres et les faire travailler ensemble.

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Chaque trimestre, le préfet sélectionne des thématiques qui seront ensuite développées devant l'assemblée par le directeur départemental concerné. Lors du dernier rendez-vous, le directeur de l'INSEE présentait, entre autres, les résultats du dernier recensement local, avec notamment un point sur la situation économique ; le directeur départemental des territoires effectuait un véritable cours magistral sur l'assainissement des eaux, suivi par une analyse pointue de la situation économique actuelle par le directeur départemental des finances publiques.

"Quand on travaille à l'agence régionale de santé, on ne connaît pas forcément la politique de l'emploi, de même que dans un service de police, on ne connaît rien de la politique qui vise à contrôler la qualité de l'assainissement de l'eau potable, continue Éric Freysselinard. Ces présentations permettent de les ouvrir sur de nouveaux horizons et sur d'autres politiques, qu'ils n'ont peut-être pas à conduire et à connaître mais qui permettent d'enrichir leur culture générale et administrative, de voir dans quel sens le char de l'État avance. Il faut savoir pour quoi travaille la structure à laquelle on appartient. On le dit souvent en termes de management : pour l'agent de base il faut lui expliquer son travail, où va sa direction. Cela vaut aussi pour un chef de service de savoir où va l'État en général."
Un exercice auquel le préfet se soumet volontiers en se rendant régulièrement au comité régional de l'administration (CAR) présidé par Christian Decharrière, préfet de la région Franche-Comté : "Cette fois, en tant que préfet de département, je suis dans la peau d'un chef de service à Vesoul, où j'apprends des choses sur d'autres politiques, d'autres méthodes. Je m'ouvre à mon tour sur d'autres horizons. Je change alors de "positionnement hiérarchique", tout en demeurant dans ce même exercice de management, dans cette recherche de collégialité tant régionale que départementale."

Pour achever cette journée du collège des chefs de services, le préfet avait organisé un moment de partage avec la visite du centre technique des haras nationaux de Faverney. "

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Le cheval comtois est la première race de chevaux de trait qui irrigue l'ensemble de la France. C'est la découverte d'une spécifi cité locale que j'ai souhaité partager avec mes collaborateurs. Un moment important, car les relations et les rapports “non dits” dans l'administration sont aussi importants que les temps de travail “officiels” et affichés.

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