Contrer la menace

10 novembre 2016

L’UCLAT (unité de coordination de la lutte anti-terroriste) effectue une évaluation de la menace terroriste grâce à une vision globale de la situation en France. Elle participe à la synthèse des opinions et fournit les pistes qui enclencheront les décisions stratégiques, juridiques ou politiques.


Le 13 novembre tous les effectifs de l’UCLAT, une quarantaine de personnes, sont rappelés au service.
Leur mission : opérer une veille permanente sur tous les renseignements qu’ils obtiennent de France ou de l’étranger. Loïc Garnier, chef de l’UCLAT, décide parallèlement la réouverture d’urgence de la plateforme d’appel de signalement, qui fonctionne habituellement de 9h à 18h, «  pour être sûr de ne pas rater une seule information qui pourrait nous être transmise par ce biais  ». L’objectif est de faire une première analyse de la situation et des actions qui doivent en découler (posture Vigipirate, état d’urgence...)

«  Nous essayons de prendre du recul. On doit pouvoir se dire, avec une sérénité difficile à conserver : voilà ce qu’il se passe, et que peut-il se passer tout à l’heure, demain  », explique Loïc Garnier. Un représentant de l’UCLAT est présent en CIC et en salle opérationnelle de la police, pour transmettre les informations et assurer un rôle de conseil. «  Nous devons être à la fois discrets et efficaces. Ne pas gêner l’opérationnel. Mon rôle n’est pas d’être sur place, c’est un poste très confortable par rapport à nos collègues opérationnels  », avoue avec humilité celui qui était chef de la section anti-terroriste de Paris pendant les attentats de Paris en 1995.

L’UCLAT reçoit toutes les productions de la DCI, DGSE, DGSI, DRM (direction du renseignement militaire), DPSD (direction de la protection et de la sécurité de la défense), sécurité publique, gendarmerie, ainsi que des autres ministères,  et est alors en mesure de se constituer une vision globale et unique de la situation. «  Les renseignements que nous obtenons peuvent être des choses qui paraissent assez banales, comme des signalements, une conversation qui a été
entendue, un comportement curieux…  explique Loïc Garnier. Je reçois environ 450 mails par jour ! Nous devons trier, selon la pertinence, en comparant avec des éléments… »

Évaluation de la menace

Grâce à toutes les notes des renseignements civils ou militaires, l’UCLAT réalise une synthèse, «  avec un œil exercé, car nous avons tous de l’expérience en la matière », précise le chef de l’unité. Ils étudient aussi la propagande des groupes terroristes, essayant d’interpréter, de lire entre les lignes : «  Nous regardons les mots utilisés, les sites visés en creux. Ce qui me marque, c’est le ton qu’ils utilisent, le fait qu’ils disent qu’il faut agir maintenant, « tant que   vous pouvez ». Il y a une différence entre le dire une fois et le dire dix fois dans la même revue. La plupart des signaux forts proviennent de l’addition des signaux faibles  ». Certaines informations sont ensuite relayées directement aux services concernés, «  nous ciblons les récepteurs pour ne pas étouffer les services et être sûrs que les informations soient traitées ».

Chaque semaine, l’UCLAT établit pour le président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur un « état de la menace ». Cette note de 20 à 30 pages détaille les faits, les renseignements reçus, et donne la perspective de ce qui peut se produire, si la menace semble augmenter ou diminuer. En découleront les décisions stratégiques et politiques. «  C’est nous, entre autres bien sûr, qui avons la matière, c’est donc à nous de fournir les pistes », ajoute Loïc Garnier.

Si « le mérite réside dans l’action des services opérationnels », comme le précise le chef de l’unité, le rôle, bien que peu visible de l’UCLAT, est indispensable.

Une fois par mois environ, Loïc Garnier expose l’état de la menace au SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale), qui, en fonction, adaptera la posture Vigipirate (augmentation de la protection des écoles par exemple) et l’opération militaire Sentinelle. L’UCLAT participe aussi à la mise en œuvre de certaines mesures induites par l’état d’urgence. Concernant les assignations à résidence, la DGSI ou la PJ transmettent des listes de noms de  personnes à assigner à résidence, avec les motivations (« tendances radicales », « a manifesté son intention de commettre un attentat »…). «  Nous rédigeons ensuite une note blanche (une note blanche est une note démarquée, c’est-à-dire sans service signataire, qui émane du ministère de l’Intérieur) ainsi qu’un projet d’arrêté qui pourra être amendé et signé par la DLPAJ  », explique Loïc Garnier.

Pour le blocage des sites internet «  provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » comme le stipule la loi du 19 novembre 2014, la demande est d’abord faite à l’UCLAT. Après une vérification, c’est  l’OCLCTIC (Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication) qui est en mesure d’appliquer la procédure (notification à l’hébergeur ou au fournisseur d’accès d’une demande de retrait d’un contenu). «  Ça n’empêchera peut-être rien, si ça empêche quelque chose on ne le saura pas, témoigne le chef de l’UCLAT. Ne se voient que les attentats qui réussissent… »

Dé-radicalisation…

«  La dé-radicalisation est en cours de construction. Il faut inventer, tenter, s’adapter. On ne peut pas appliquer un traitement tant que l’on n’a pas fait de diagnostic ». Aujourd’hui l’UCLAT s’attèle à observer, analyser les signalements. C’est après avoir identifié des facteurs de radicalisation que peut être envisagée une démarche de dé-radicalisation. «  Si la France est en pointe dans le domaine de la détection de la radicalisation, l’action de dé-radicaliser n’est pas simple.

C’est interministériel, cela nécessite des infrastructures,du budget, recruter les bonnes personnes… Nous voulons monter des structures humaines et pédagogiques solides  ».

Depuis les attentats du 13 novembre, l’UCLAT est plus que jamais sur le qui-vive. «  On avait déjà chacun conscience du fait que l’on n’a pas le droit de se louper, pas le droit de passer à côté d’une information, ce n’est pas imaginable.  Mais là, ça s’est dramatisé  ». Travaillant dans l’ombre au service de la France, Loïc Garnier termine : «  Ce métier, on y consacre toute sa vie. On est à l’affût de tout. On pense, on vit terrorisme 24h/24… »