Séance de questions d'actualité au Gouvernement du 28 novembre 2013 au Sénat

28 novembre 2013

Jeudi 28 novembre 2013, Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, a répondu à Ronan Dantec, sénateur EELV de la Loire-Atlantique et à Antoine Lefèvre, sénateur-maire UMP de LAON, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement au Sénat.


Ronan Dantec, sénateur EELV Loire-Atlantique

Monsieur le Président. Monsieur le Ministre. Mesdames les Ministres. Mes chers collègues. Monsieur le Ministre, le Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique se tiendra la semaine prochaine. Je salue l’initiative du président de la République d’organiser dans ce cadre un segment consacré à l’éléphant et à la biodiversité africaine, le braconnage et le trafic d’ivoire ayant des liens clairement identifiés avec des enjeux de paix et de sécurité dans la région. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement et Interpol, la criminalité contre la faune représente 15 à 20 milliards de dollars chaque année, ce qui, je le souligne, en fait le quatrième plus important trafic illégal dans le monde, derrière ceux de la drogue, des êtres humains et des armes. Ce type de trafic existe bien sûr aussi en Europe et en France, selon le rapport de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, en 2012, 1 084 infractions pour des atteintes aux espèces protégées ont été constatées, ce qui représente une augmentation de près de 50 % par rapport à 2011. Au vu de la gravité et de l’urgence de la situation, la France se donne-t-elle les moyens d’agir ? Le Sénat a adopté en mai dernier, à mon initiative, un amendement dans la loi du 16 juillet 2013, visant à faire reconnaitre les infractions commises en bande organisée, au sens de l’article 132-71 du Code pénal, permettant d’aligner la qualification du trafic d’espèces protégées sur les trafics d’armes et de drogue. Nous avons donc ouvert une porte vers un durcissement de notre action répressive envers les trafiquants. Mais les avancées doivent être confirmées, nous observons aujourd’hui quatre difficultés majeures. D’abord, la cohérence du dispositif législatif, cette nouvelle qualification ne permettant pas, par exemple, l’accès aux techniques spéciales d’enquête applicables à la lutte contre d’autres types de criminalité organisée. Ensuite, la question des moyens, nous savons que l’Office s’est vu affecter quinze nouveaux agents, mais sur l’ensemble de ses champs comprenant les déchets, l’environnement et même le dopage et que le nombre de fonctionnaires dévolus à la biodiversité reste très faible. Inquiétudes également sur la capacité des différents services, les vôtres, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, mais également ceux de l’écologie ou des douanes, à se coordonner, avec une inquiétude spécifique sur les moyens de contrôle dont disposent les administrations décentralisées, dans un contexte global de fragilisation des moyens de la police environnementale en France, ce que nous regrettons fortement. Enfin, la question importante de la coordination avec Interpol, institution basée à Lyon et qui mobilise aujourd’hui sur ces enjeux, c’est aussi une question sur la table. Ma question est donc la suivante, Monsieur le Ministre : Face à cette situation, quels moyens vous donnez-vous pour faire respecter la loi, en vous appuyant sur cette qualification du trafic d’espèces protégées en bande organisée ?

Manuel Valls, ministre de l’Intérieur

Monsieur le Président. Je suis un grand spécialiste des espèces menacées, j’y reviendrai tout à l’heure d’ailleurs, à propos d’une autre question. Mais plus sérieusement, bien sûr, lutter contre ces trafics, que vous avez évoqués, c’est d’abord lutter contre les réseaux. C’est cette réalité que le nouvel article L415-6 du Code de l’environnement, adopté, vous l’avez dit, à votre initiative, nous permet de combattre. Il est primordial de pouvoir réprimer de manière très dissuasive le trafic des espèces protégées, lorsqu’il est notamment commis en bande organisée. La sanction pénale peut désormais atteindre sept ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende et s’accompagner de la saisie d’avoirs criminels. Mais vous avez raison, des marges de progrès existent encore, notamment en matière de moyens d’enquête. Le gouvernement en est pleinement conscient, le projet de loi en cours d’examen relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit des techniques spéciales d’enquête au profit des douaniers, des policiers et des gendarmes, afin de lutter aussi contre les trafics d’espèces menacées. Désormais, les forces de l’ordre et la douane pourront utiliser les mêmes méthodes de surveillance, d’infiltration, de sonorisation et de captation des données informatiques pour lutter contre la criminalité et la délinquance organisées. Je ne doute pas que vous-même et votre groupe soutiennent ce type de techniques qui sont utiles pour lutter contre la délinquance et qui ne mettent pas en cause les libertés fondamentales. Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique du ministère de l’Intérieur et les douaniers disposeront donc d’un arsenal juridique performant, afin de lutter contre cette délinquance, qu’on peut appeler environnementale. Ceci est d’autant plus important que cet Office bénéficie du soutien d’un réseau de 350 enquêteurs spécialisés de la gendarmerie, répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin et entretiennent des contacts riches et fréquents avec l’ensemble des administrations centrales et déconcentrées qui sont compétentes sur ces sujets. Nous avons d’ailleurs fait le choix de renforcer cet Office en créant quinze postes supplémentaires. Et puis, enfin, vous l’avez rappelé, ces trafics sont essentiellement transnationaux, le travail de l’Office s’appuie donc sur le réseau diplomatique de nos 80 attachés de sécurité intérieure du ministère et les liens noués avec Interpol sont importants. Et puis, vous l’avez indiqué, le 5 décembre prochain, se tiendra, en marge du Sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique, une table ronde contre le braconnage d’éléphants et contre le trafic d’ivoire et autres espèces protégées. Comme vous le voyez, nous sommes conscients de ce sujet, nous répondons à votre question et nous voulons avancer sur ce sujet.

Antoine Lefèvre, sénateur-maire UMP de LAON

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Monsieur le ministre de l’Intérieur. Monsieur le ministre, l’édition du « Monde » d’hier soulignait l’étonnante unité transpartisane contre la mise en application de la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, notamment le curieux tandem paritaire, ce nouvel élu à deux têtes sur un même territoire, mais surtout contre le redécoupage cantonal. Force est de constater en effet qu’un bon tiers sur la moitié des découpages proposés par les préfets recueille des avis défavorables des Assemblées départementales, même pour celles tenues par votre majorité, y compris dans la Nièvre. Mon département de l’Aisne n’échappe pas à cette règle. Je le prendrai pour exemple : seuls les parlementaires ont été informés par le préfet des grands principes de l’élaboration de cette carte, le président du Conseil général bénéficiant, semble-t-il, d’une écoute différenciée. Le projet de découpage n’a été communiqué à l’ensemble des élus qu’une petite semaine avant l’assemblée plénière et laisse pantois tous les maires. Cette méthode ne peut qu’éveiller la méfiance des élus minoritaires. Dans ce département tenu par votre majorité par vingt-huit sièges contre quatorze – soit deux tiers, un tiers –, projetons les résultats du dernier scrutin présidentielle et que voit-on ? De quarante-deux cantons actuels – vingt-trois pour votre majorité contre dix-neuf à l’opposition, soit un jeu quasi égal –, on passe alors à vingt et un cantons, toujours avec la même projection, et résultat, quinze pour votre majorité contre six à l’opposition, soit trois quarts, un quart. Voilà un résultat bien troublant. Vous ne pouvez cacher les conséquences politiques de ce redécoupage qui vise sans nul doute à assurer une majorité et un contrôle sans partage du département. Enfin le nombre des cantons, amputé de moitié mais dont l’augmentation de la superficie peut parfois être multipliée par quatre, va de facto raréfier la proposition de services publics, en particulier dans les milieux ruraux. Vous proclamiez la désertification certaine de nos territoires lorsque l’ancienne majorité proposait le conseiller territorial mais en divisant par deux le nombre de cantons, vous leur portez un terrible coup de grâce. Quelle jolie pirouette, Monsieur le ministre ! Non seulement vous sous-représentez les territoires ruraux, mais vous serez responsable de leur sous-dotation. Ultime impact, la disparition de nombreux chefs-lieux. Or, ces communes se prévalaient du titre de bourgs-centres, les rendant dans ce cas éligibles à la dotation de solidarité rurale leur permettant d’assurer justement une partie des charges de centralité et d’aménagement du territoire – POSTE, Trésor public, caserne de sapeurs-pompiers, collège et autres équipements – qui jouent un rôle économique et de service aux populations essentiel en zone rural. Même si vous avez récemment indiqué le maintien d’éligibilité de ces communes jusqu’en 2017, qu’en sera-t-il après cette date ? Monsieur le ministre, ma question est simple : si nous avons bien compris que vous avez pleine conscience des avantages électoraux que devraient vous apporter ces redécoupages, avez-vous aussi conscience de tous les effets négatifs qu’ils auront sur la vie des territoires ? Si oui, quel cynisme ! Nous ne pouvons le croire. Je vous remercie.

Manuel Valls, ministre de l’Intérieur

Monsieur le président, d’abord, je voudrais réparer une erreur en répondant à Monsieur Dantec. J’ai oublié de rappeler que c’était mon collègue Philippe Martin qui allait présider la table ronde du 5 concernant les espèces menacées. J’en viens maintenant à la carte cantonale. Il n’y a aucun rapport. Le titre du journal « Le Monde » auquel vous faites allusion parlait de la résistance non pas au scrutin lui-même, mais à la mise en place de la parité. Or, le Conseil général de l’Aisne compte six femmes sur quarante-deux aujourd’hui. Est-ce acceptable ? Non. Avec le scrutin binominal de demain, elles seront vingt et une. Et la loi du 17 mai apporte des réponses que je crois concrètes : elle instaure donc la parité aux élections départementales et elle permettra ainsi que la voix de chacun de nos concitoyens ait la même valeur. Quel que soit le type de découpage, de toute façon, ces principes constitutionnels s’appliquent. Un travail est fait dans chaque département à partir de critères qui sont connus. Ce sont ceux que le Conseil constitutionnel a définis dans sa jurisprudence et qu’il a signalés dans ses remarques après que ayez saisi le Conseil constitutionnel. Le premier principe – je l’ai rappelé –, c’est la démographie afin de respecter l’égalité du suffrage. Le remodelage s’appuie le plus souvent – pas toujours mais le plus souvent – sur la carte des établissements publics de coopération intercommunale lorsque la configuration le permet et c’est nettement le cas dans le département de l’Aisne. Les principes sont transparents, ils sont connus de tous. Ils passent – oui, c’est vrai – par les présidents de Conseils généraux. Nous recevons aussi quand il y a une demande les parlementaires. À ce jour, cinquante-cinq projets ont été transmis aux Conseils généraux et trente-six votes ont déjà eu lieu. C’est ensuite le Conseil d’État qui examine chacune de ces propositions au regard des principes qui figurent dans la loi et dans la décision du Conseil constitutionnel. À cette date, trente-deux projets ont été transmis au Conseil d’État dont vingt-quatre ont déjà été approuvés par ce dernier. Et je peux vous d’ailleurs vous indiquer que le Conseil d’État a validé le projet de décret concernant la nouvelle carte cantonale de l’Aisne avec juste une modification marginale pour une commune au titre précisément du respect des critères démographiques. Vous le voyez, le remodelage de la carte cantonale se fait dans le strict respect de la loi, les principes fixés par le Conseil constitutionnel. La loi, rien que la loi.