JEP 2023 : rencontre avec René Dosne, "croqueur de feux"

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  • Publié le 14/09/2023
  • Mis à jour le 05/12/2024
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Dessinateur, graphiste, illustrateur, le lieutenant-colonel (R) René Dosne a inventé le croquis opérationnel, véritable outil d’aide à la décision en cas d’incendie.

Déjà passionné par les camions de pompier enfant, il est devenu dessinateur au service des opérations de secours de la Sécurité civile. Nous l'avons rencontré.

Transcription de la vidéo : rencontre avec le "croqueur de feux" René Dosne

J'ai été très tôt attiré par le dessin. Je suis pratiquement né avec un crayon à la main. À cinq, six ans, je dessinais déjà des camions, des scènes de la vie parisienne puisque j'étais né dans le quartier de la Bastille. J'ai très rapidement cherché une profession qui n'existait pas, qui me permettrait de relier les deux passions que j'avais : la passion du dessin parce que j'étais vraiment destiné à en faire mon métier et puis le milieu des pompiers, qui me plaisait bien parce que opposé au métier de dessinateur qui lui, est très statique. Le métier de pompier faisait qu'on bougeait et je voulais dessiner en bougeant.
Les pompiers m'ont tout de suite embauché alors que j'étais encore étudiant. Ils m'ont dit : "il faut que tu travailles pour nous. On va te donner une tenue de feu, une assurance, un laisser-passer et on te préviendra quand on a une grosse opération et tu viendras la dessiner."
Mais les dessins à ce moment-là étaient faits - c'était de l'illustration, c'étaient des dessins qui étaient faits pour illustrer la revue des pompiers - donc il fallait de beaux dessins en couleurs qui, tous les mois, racontaient un gros incendie qu s'était produit à Paris. Et c'est comme ça que, progressivement, alors que j'étais envoyé sur les incendies, pour prendre des notes simplement, pour mes dessins à venir, que les pompiers m'ont demandé d'orienter un peu mon style de croquis pour faire des documents qui soient utiles sur l'instant. 
Un croquis opérationnel, c'est quelque chose de très synthétique, de rapide. C'est un dessin qui doit normalement être donné dans les dix minutes, un quart d'heure après que le dessinateur se soit présenté sur les lieux. Il doit donner un premier croquis rapide de la situation. Et puis ensuite, à mesure que l'opération va progresser, eh bien, il va faire d'autres croquis qui vont montrer que l'événement ou se stabilise, ou s'aggrave. 
Le croquis opérationnel, c'est du Mac Do. C'est quelque chose à manger tout de suite. On le montre au commandant des opérations. Ou il comprend ou il comprend pas mais il ne va pas perdre son temps à regarder le croquis trois minutes. Donc il faut vraiment faire des croquis très pertinents dans les informations qu'ils vont donner.
L'essentiel à représenter c'est ça : les volumes qui brûlent, le volume de la cage d'escalier.
J'ai travaillé toute ma vie en activité libérale. J'ai fait mon métier d'illustrateur, de graphiste, à faire des BD ou des dessins animés ou toutes sortes de choses. Mais en parallèle, j'avais ma vie avec la brigade. J'avais ma tenue de feu qui était toujours prête et dès qu'on m'appelait, eh bien, je changeais de personnage et j'étais pompier pour une heure, deux heures, trois heures. Je faisais mes croquis et puis après, je rentrais chez moi. Je reprenais ma vie tranquille à faire mes petits dessins.

Enfant, vous aviez deux passions : le dessin et les camions de pompiers. Depuis, vous avez inventé le croquis opérationnel qui facilite le travail des pompiers en intervention. Comment est née cette belle aventure ?

René Dosne : je suis pratiquement né avec un crayon à la main. À cinq ou six ans, je dessinais des camions, des scènes du quartier de la Bastille où je suis né. On voyait assez souvent les pompiers et quand je rentrais à la maison je dessinais ce que j’avais vu. Ça ne s’est pas calmé avec les années. J’ai fait une école d’arts graphiques mais très rapidement, j’ai cherché à relier les deux passions. Ce qui me plaisait dans l’activité des pompiers c’est qu’elle était opposée au métier de dessinateur, très statique. Je voulais dessiner en bougeant.

À l’école d’arts graphiques, j’avais un prof de dessin qui m'a dit un jour : « je te vois tout le temps dessiner des camions de pompiers. Moi, j’habite en face d’une énorme caserne. Écris une lettre au colonel des pompiers pour lui demander si tu peux venir dessiner des camions pendant tes jours de repos. » C’est ce que j’ai fait.
Quelque temps plus tard, un pompier est venu en moto m'apporter une réponse positive. J’avais 17 ans. J’ai mis le pied dans la cour de cet état-major il y 60 ans. Et aujourd'hui, j’y suis toujours !

J’ai mené en parallèle mon activité libérale d’illustrateur et ma vie à la brigade. Dès qu’on m’appelait, je changeais de personnage et j’étais pompier pour une heure, deux heures, comme un pompier volontaire. J’ai eu ces deux vies, toute ma vie.

Comment est né le croquis opérationnel ? Pourquoi est-il aujourd'hui un outil d’aide à la décision ?

R.D. : c’est une spécialité que j’ai créée dès qu’on m’a envoyé sur les incendies. Je suis un "croqueur de feux". Après m’avoir autorisé à dessiner des camions, les pompiers m’ont embauché pour illustrer leur revue mensuelle. J’étais encore étudiant. Ils m’ont donné une tenue de feu, une assurance, un laisser passer et à la première grosse opération, ils m’ont appelé. Je prenais des notes pendant l’incendie pour faire ensuite de beaux dessins en couleur.

Progressivement, j’ai fait des croquis en 3D, des vues aériennes. « Tu veux bien me montrer ton croquis, me disaient les commandants d’opération, il y a quelque chose qu’on comprend mieux quand on le voit du dessus. Nous on voit les choses d'en bas. »
Peu à peu, on m’a demandé de faire des croquis utiles sur l’instant, pour le commandant des opérations. Dès l’arrivée sur les lieux, il fallait faire "le tour de l'incendie" dans le bon sens, avoir une bonne analyse de l’événement, réaliser une vue en 3D qui montre comment l’incendie se développait. Cela permettait aux pompiers d’expliquer aux renforts où le feu se trouvait, comment il se propageait et comment il fallait intervenir de tel ou tel côté.

Aujourd’hui le croquis opérationnel est devenu aussi un outil d’aide à la décision dans les prises d’otage, les attentats, les explosions. Ce croquis opérationnel permet également à l’officier de presse de faire un point de situation avec les media sur la complexité de l’événement.

Crédits : René Dosne

Quels doivent être les premiers réflexes du dessinateur opérationnel ?

R.D. : dès qu’il arrive, le dessinateur fait un croquis et une photo pour le poste de commandement et l’état-major. Aujourd’hui, l’état-major dispose d’images mais il y a 10 ou 15 ans, la salle opérationnelle ne recevait que des messages radio. En 1990, j’ai acheté un téléphone mobile et un fax pour envoyer des croquis en temps réel à l’état-major. Depuis, les téléphones avec appareil photo intégré ont tout changé. Il m’est arrivé de faire une photo de mon croquis en haut d'une grande échelle et avant de redescendre, je savais qu’il était arrivé à l’état-major. Ça c’est génial !

Dans quel événement majeur, votre activité s’est-elle révélée particulièrement utile ?

R.D. : en 1995, l’incendie du Crédit Lyonnais a duré une journée pendant laquelle j’ai fait cinq croquis. Il y a aussi eu l’incendie du tunnel du Mont-blanc, l’explosion de l’usine AZF, les incendies du tunnel sous la manche, la chute du Concorde.
Plus l’opération dure et plus on a besoin d’images pour connaître la configuration des lieux. Le dessinateur doit montrer ce qui ne se voit pas : les cages d’escalier, les ascenseurs, les cours intérieures où le feu peut facilement partir à la verticale. Les détails extérieurs sont inutiles. Le dessin doit être le plus clair et le plus synthétique possible.

Aujourd’hui, les drones et les caméras thermiques complètent le travail du dessinateur. Un drone montre la situation au-dessus des toits alors que le dessinateur montre le dessous. Il rentre à l’intérieur du bâtiment pour en faire une radiographie.

Comment transmettez-vous votre savoir aux nouvelles générations de sapeurs-pompiers ? Quelle est la première qualité d’un dessinateur opérationnel ?

R.D. : en 2010, le général en charge de la Brigade m’a demandé de former des sapeurs-pompiers au dessin opérationnel. J’ai choisi des adjudants, des chefs de garde avec une bonne expérience du terrain. Ce sont des pompiers aguerris qui savent comment une opération est structurée et jusqu’à quel moment ils peuvent pénétrer dans le bâtiment. Je privilégie toujours la qualité de pompier à celle de dessinateur. Un croquis, ce sont des parallélépipèdes, des boîtes les unes dans les autres. Il faut avant tout faire un croquis pertinent, synthétique, utile, pas une œuvre d’art. Le croquis opérationnel est vu par des gens qui sont en situation d’urgence. La lecture doit être immédiate.

Aujourd’hui, il y a une dizaine de services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) qui disposent de dessinateurs opérationnels. C’est depuis l’incendie de Notre-Dame que le croquis opérationnel suscite autant d’intérêt. En effet, c’est un tour du feu du dessinateur qui a permis de comprendre que l’incendie partait dans la tour nord.

Crédits René Dosne

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