17.06.2009 - Colloque "souveraineté numérique"

17 juin 2009

Intervention de Mme Michèle ALLIOT-MARIE, Ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales


Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
La souveraineté de l'Etat s'exerce sur un territoire. Internet ignore les frontières étatiques.
La souveraineté de l'Etat s'applique à une population donnée. Sur Internet, des communautés virtuelles se créent dans les réseaux sociaux, au-delà de toute appartenance nationale.
La souveraineté de l'Etat suppose un gouvernement, des lois, des hommes et des femmes pour les faire appliquer. Internet est le lieu de toutes les libertés. C'est aussi malheureusement celui d'une délinquance et d'une criminalité en développement.
Faut-il en conclure que la souveraineté des Etats s'arrête où commence l'espace numérique ?
Historiquement, l'Etat a conquis son autorité sur les espaces territoriaux, sur les espaces maritimes et sur les espaces aériens. L'espace numérique n'est pas voué à demeurer une zone de non-droit.
Au XXIe siècle, garantir la sécurité sur Internet pour ses concitoyens est un enjeu fondamental de l'Etat.
Ministre de l'Intérieur, en charge de la protection des Français, je veux nous doter des moyens de rendre plus sûr l'espace numérique.
Il ne s'agit pas de soumettre le réseau à une surveillance généralisée. Je ne suis pas "Big brother".
Entre un réseau sans règle et sans contrôle et un réseau dont les contenus seraient intégralement validés par l'Etat, il y a un juste équilibre : l'Etat de droit. C'est ce qui distingue nos régimes démocratiques des régimes totalitaires.
Garantir la "souveraineté numérique", c'est étendre à l'espace numérique le champ de l'Etat de droit.
C'est faire en sorte que nos concitoyens soient protégés contre une délinquance en développement. C'est faire en sorte que ces délinquants soient identifiés, interpellés et condamnés par la justice.
C'est combattre la cybercriminalité, en protégeant les internautes face à des menaces qui touchent souvent les plus fragiles. C'est faire d'Internet un véritable espace de libertés et de responsabilités.
Mesdames, Messieurs,
Contre la cybercriminalité, il faut des instruments modernisés et ciblés.
D'abord des forces de sécurité formées.
Pour intervenir sur le réseau, nos forces de sécurité doivent bénéficier d'une formation adaptée aux réseaux de télécommunication, aux cartes à puces, à la cryptologie ou aux téléphones mobiles.
J'ai décidé le doublement en trois ans du nombre de cyberenquêteurs de la police et de la gendarmerie.
En créant la certification d'Investigateur en Cybercriminalité, j'ai amélioré le niveau de formation des cyberenquêteurs au sein de l'Office de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information.
Les enquêteurs formés par la police atteindront le nombre 300 à la fin de l'année 2009. Ils étaient 150 quand je suis arrivée au ministère de l'Intérieur.
Parallèlement, le nombre de NTECH, formés par la gendarmerie en partenariat avec l'université, atteindra 214 fin 2009. En complément de ce dispositif, des "correspondants NTECH" pour l'accueil du public au sein des brigades seront formés par la gendarmerie nationale.
De nouveaux moyens de signalement et d'action ont été mis en place.
Des moyens de signalement, avec la  plate-forme nationale de signalement des sites et contenus illicites sur Internet www.internet-signalement.gouv.fr.
Jusqu'alors, le signalement automatique n'était possible que pour les sites à caractère pédopornographiques. Depuis janvier dernier, cette plateforme donne aux internautes les moyens de signaler automatiquement toute forme de malversation constatée sur Internet. Elle donne aussi des conseils de sécurité aux utilisateurs.
Plus de 862 000 connexions ont été enregistrées depuis le début de l'année. Plus de 12 000 signalements ont été effectués.
- Parce que la contrefaçon détruit des emplois dans notre pays, j'ai décidé d'étendre cette plateforme à la lutte contre la contrefaçon d'ici la fin de l'année. En liaison avec le plan cyberdouane d'Eric WOERTH, nous permettrons aux Internautes de signaler les sites proposant des produits contrefaits sur Internet.
De nouveaux moyens d'action sont opérationnels.
- Contre les escroqueries, et notamment sur Internet, j'ai lancé en janvier dernier un dispositif de prévention et de répression.
Prévention, avec la création d'un centre d'appel téléphonique. Près de 10 000 appels ont  déjà été traités.
Répression, avec la mise en place groupe dédié aux escroqueries sur Internet au sein de l'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication de la police judiciaire. Ce groupe permet la centralisation des enquêtes en nature d'escroquerie sur Internet et ainsi de mieux connaître les filières.
Les résultats sont là : alors que les infractions économiques et financières étaient en hausse de 10 % en 2008, la tendance s'est inversée. Elles ont diminué de 7,12% pour le mois de mai 2009.
La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure nous permettra d'aller plus loin.
De nouvelles sanctions sont prévues.
- Le blocage des contenus à caractère pédopornographique par les fournisseurs d'accès à Internet.
La pédophilie n'est pas une liberté publique. La diffusion de vidéos à caractère pédopornographique n'est pas constitutive de la liberté d'expression. Il s'agit d'activités criminelles.
J'ai donc mené la concertation avec les fournisseurs d'accès et fait inscrire dans le projet de LOPPSI le principe  du blocage de ces sites et contenus.
Toutes les démocraties voisines l'ont fait. En bloquant ces sites en Europe, aux Etats-Unis, nous arrivons aussi à tarir les flux financiers des groupes criminels qui exploitent des enfants.
- L'usurpation d'identité sera sanctionnée.
La multiplication des forums de discussion ou des réseaux sociaux de type "Facebook" a accru les risques liés à l'usurpation d'identité.
Le projet de LOPPSI rend désormais condamnable le fait d'usurper l'identité d'autrui sur Internet, même s'il n'y a pas de préjudice financier.
Au-delà de la cybercriminalité, de nouveaux moyens d'investigation seront mis en œuvre contre la criminalité organisée.
Aujourd'hui, il est possible, sur décision du juge d'instruction, de capter des images ou des sons à distance.
Les caméras et les micros ne suffisent plus. Les évolutions technologiques impliquent que l'on puisse aussi savoir ce que préparent des criminels depuis leur ordinateur.
La possibilité de captation de données numériques à distance permettra aux enquêteurs, par exemple, de saisir en temps réel des données au moment où elles s'affichent sur l'écran ou lorsqu'elles sont tapées sur le clavier d'un pédophile ou d'un terroriste.
C'est le juge d'instruction – et lui seul – qui pourra ordonner de telles mesures.
Mesdames, Messieurs,
Renforcer nos moyens humains, matériels et juridiques est un préalable et une nécessité. Ce n'est pas suffisant.
Pour faire d'Internet un espace de libertés et de responsabilités, nous devons privilégier une approche globale.
Une approche fondée sur la coopération internationale.
Contre une menace qui ignore les frontières, nous ne pouvons pas agir seuls. Je veux encourager le dialogue, les échanges et les actions communes avec nos partenaires extérieurs.
A l'échelle de l'Union Européenne, j'ai fait adopter par le conseil des ministres de l'Union la création d'une plateforme européenne de signalement des infractions relevées sur Internet.
Financée par la Commission européenne, hébergée par Europol, elle sera mise en place cette année et fonctionnera à partir de dispositifs de signalement nationaux.
J'entends également poursuivre notre coopération bilatérale avec dans ce domaine.
Ainsi, lors de ma récente visite aux Etats-Unis, j'ai obtenu que nous travaillions à la connexion de cette future plate-forme avec la plate-forme américaine. Nos policiers participent à des échanges sur les moyens techniques avec leurs homologues américains.
Les contacts avec mon homologue lors du sommet franco-russe ouvrent aussi des perspectives.
Une approche globale, c'est aussi une approche qui associe l'ensemble des acteurs de la chaîne de sécurité, et particulièrement les entreprises.
Préserver la souveraineté numérique, c'est aussi protéger les entreprises contre l'ingérence et l'espionnage industriels.
C'est particulièrement vrai à l'heure de la crise économique et financière.
Cher Bernard Carayon, lorsque vous vous intéressez aux moyens de renforcer la protection des informations stratégiques des entreprises, et du droit des affaires face à la concurrence étrangère, vous sensibilisez nos entreprises au risque de perte ou de vol de ce qui fait le cœur de leur activité.
J'ai fait élaborer par chaque préfet de région un plan triennal d'intelligence économique. Ces plans représentent une démarche cohérente au profit des entreprises comme des structures de recherche et, tout particulièrement des pôles de compétitivité.
J'attends maintenant que les préfets de région fassent vivre ces plans, en étroite liaison avec tous les services concernés du ministère de l'Intérieur et du ministère des Finances, ainsi que tous les acteurs concernés, entreprises, universitaires, recherche.
Pour associer l'ensemble de ces acteurs, il faut des structures de dialogue.
J'ai créé un Conseil économique de sécurité au sein du ministère de l'Intérieur parce que nous devons mieux travailler ensemble à l'identification des menaces.
En son sein, trois groupes de travail font avancer la réflexion dans les domaines de la sécurité numérique des entreprises, des investissements de sécurité des entreprises et de la crise et des besoins de protection qu'elle implique.
Il ne s'agit pas de dire aux entreprises quelles solutions de sécurité elles doivent accepter pour protéger leurs investissements. Il s'agit de les sensibiliser aux menaces, du vol de brevet aux risques qui existent à faire héberger des données à l'étranger parce que c'est gratuit.
Au-delà des structures, c'est un nouvel état d'esprit que j'entends créer : je veux faire d'Internet un espace de confiance pour nos concitoyens comme pour nos entreprises.
Plus de sécurité sur Internet dans notre pays, c'est plus d'échanges, plus de commerce, plus de contrat entre les firmes. Nous y avons tous intérêt.
Cela suppose un constat partagé sur les mesures à prendre et les moyens d'y parvenir.
Pour cela, je souhaite l'élaboration d'un livre blanc sur la cybersécurité. Il sera porté par l'Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et le futur Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et de Justice.
Usagers, professionnels, entrepreneurs, universitaires, tous les acteurs de l'Internet devront être associés.
Avec Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Secrétaire d'Etat à l'économie numérique, j'installerai très prochainement le comité scientifique qui préparera ce livre blanc. Ses travaux commenceront en septembre et devront aboutir en mars 2010.
Mesdames, Messieurs,
Ministre de l'Intérieur, en charge de la protection des Français, je refuse de laisser nos concitoyens et nos entreprises sans défense face à une menace protéiforme, internationalisée et de plus en plus sophistiquée.
Internet est un formidable espace de libertés.
En luttant contre la cybercriminalité, je veux faire d'Internet ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un espace d'échanges, de diversité et de dialogue  d'échelle mondiale.
Je vous remercie.